vendredi 11 avril 2008

"Rien de ce qui est con ne nous est étranger."

Débuter par un alexandrin manque de sobriété, mais telle sera la devise du CESICON, Centre de Science Connologique.

Dans la lignée de l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) de Raymond Queneau et alii, du célèbre Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, ou de la moins connue mais inégalable Exégèse des lieux communs de Léon Bloy, je vous propose donc de participer à ce salutaire recueil de Mots à la con, selon le titre d'un ouvrage de Pierre Merle, qui a inspiré la création de ce blog - des mots pas forcément détestables mais essentiellement inutiles.
La méthode est simple : chacun envoie un message, avec en titre un mot ou une expression, qui seront retenus et archivés par ordre alphabétique, sauf si des commentaires les contestent - car il est important qu'il y ait con-sensus, dans notre petite communauté...
D'autres messages pourront porter sur des sujets d'actualité, des anecdotes, des lectures...
Un autre principe à affirmer ici, c'est qu'il ne s'agit en aucun cas de mépriser ni de haïr la "connerie", et ses représentants. Il est en effet facile de traiter les autres de cons, ce qui revient souvent à se montrer intolérant ou à stigmatiser les plus vulnérables : les maladroits, les complexés, les sans-grades, les peu instruits, les “malcomprenants”… Cependant, comme pour la normalité et la déviance, la différence entre intelligence et bêtise est plus un continuum qu'une frontière nette.
En mars dernier, l’hebdomadaire Marianne a consacré à la bêtise un bel article, qui résume bien mon état d'esprit à l'heure de la création de ce blog, et dont je reproduis ici les principaux extraits :

SUBLIME BETISE !
Par Christian Godin

La prolifération, depuis un an, d’ouvrages sur la bêtise pourrait donner à penser qu’un nouveau spectre hante sinon l’Europe du moins la France. Belinda Cannone, romancière et essayiste, a publié l’an passé un vif et réjouissant essai romancé (La Bêtise s’améliore) dans lequel elle croque des personnages compactés dans leur certitude d’être au top par leurs manières d’être, d’agir et de parler. Déjà Flaubert avait soupçonné ce désastre : et si la bêtise était du côté de la culture ? Les personnages de La Bêtise s’améliore avaient par leur naissance et leur éducation la chance d’être subtils et perspicaces : ils sont lourds et malvoyants avec leurs mots lancés comme des slogans publicitaires.
D’autres ouvrages, traitant apparemment du même sujet, sont loin d’avoir la même élégance. Avec ceux-là, ce sont carrément “les cons” qui sont pointés : Comment supporter les cons de Francisco Gavillan, Vivre avec des cons, de Tonvoisin Depalier, deux livres parus ce mois-ci, Travailler avec des cons, de Tonvoisin Debureau, publié l’an passé, et last but not least, Mort aux cons, de Carl Aderhold. (…) D’outre-Atlantique nous est venu un Objectif zéro-sale-con (…) C’est une tendance nouvelle dans les sciences (!) du management : si l’atmosphère est plombée au bureau, si la productivité flanche, ne regardez ni du côté de la société ni de celui de l’entreprise (la structure hiérarchique, l’organisation du travail, la compétition, rien que des gros mots), non, dénichez plutôt les sales cons qui sont la faute de tout.
L’effondrement du marxisme aura emporté avec lui l’idée élémentaire de l’aliénation. Comme la société et les classes ne sont plus censées exister, les individus restent seuls responsables de ce qui leur arrive. Les individus, c’est-à-dire les autres, d’où l’insistance mise sur leur “connerie”. (…) La connerie coûte cher, très cher aux entreprises, donc à l’économie nationale (…) Les couvertures de ces livres font signe de manière étrange : une tasse de café renversée sur un bureau, une tartine tombée côté confiture. Comme si c’était être bête que d’être maladroit !
(…) Comme les causes ne sont pas analysées ni même véritablement cherchées (on n’est pas insupportable au travail sans raison, de même qu’un élève n’est pas insupportable en classe sans raison), la plupart des livres de cette paralittérature prennent les effets pour des causes : si vos conditions de travail sont détestables, c’est du fait de vos collègues qui vous harcèlent… (…) Après cette littérature de cafardage, le Bréviaire de la bêtise du philosophe et romancier Alain Roger plongera le lecteur dans un vrai bain de jouvence : (…) l’idée de base d’Alain Roger est que la bêtise fait un usage abusif et intempestif de ce que la logique classique appelle le principe d’identité : une chose est ce qu’elle est, on est comme on est. La bêtise n’est pas en-deçà de la raison, mais dedans, en plein dedans. Elle ne pêche pas par défaut mais par excès ; elle est une raison suffisante (au sens de fermée sur elle-même, ”au 1er degré”… - E.B.) (…) On l’aura compris : la bêtise dont traite Alain Roger fait rire, à la différence de la “connerie” qui exaspère. (…)
Reprenons la question : de quoi cette fixation sur la bêtise est-elle le symptôme ? La réponse ne serait-elle pas du côté de la crise du lien social ? Deux siècles après la Révolution, nous ne sommes toujours pas persuadés que les hommes sont égaux. Dénoncer la bêtise est une manière détournée de reconstituer une hiérarchie entre les esprits, nobles d’un côté et vils de l’autre (…) : la bêtise, c’est ce que nous détestons chez les autres.

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